Si l'on en croit les sondages, l'opinion est plutôt favorable à
l'euro en France; plutôt défavorable en Allemagne. Monétairement,
cela peut se comprendre. Politiquement, c'est plus paradoxal.
Du point de bue monétaire, l'abandon de la monnaie nationale n'est
facile pour personne. Dans France, il y a franc. En Allemagne, le
redressement économique du pays, ainsi que la reconquête de sa souveraineté
et, enfin, la reconstitution de son unité, se sont faits sous le
patronage du mark. Au XXe siècle, celui-ci aura été un symbole encore
plus fort que le franc, pour les populations concernées. Pour un
Allemand, l'abandon du mark au profit de l'euro, représente à peu
près l'équivalent de ce que serait pour un Français, l'abandon du
drapeau tricolore. Il aura donc fallu aux autorités politiques de
la République fédérale, un grand courage pour entraîner leurs électeurs
dans une direction qui ne paraissait pas évidente à ceux-ci. Le
Chancelier Kohl a joué un rôle décisif dans ce choix. Mais tous
les grands partis ont accepté celui-ci, à la seule exception des
anciens communistes d'Allemagne orientale.
Le paradoxe apparaît lorsqu'on lit les propos de nombreux responsables
outre-Rhin, comparés à ceux des responsables français. L'Allemagne
avait beaucoup insisté, lors de la négociation du Traité de Maastricht,
pour que l'union politique avance aussi vite que l'union monétaire.
Or, aujourd'hui, on met l'accent, outre-Rhin, sur la nécessité de
maintenir la gestion de l'euro à l'écart de la politique, en particulier
sur le respect absolu de l'indépendance de la Banque centrale européenne
à l'égard des gouvernements. Sans remettre en cause cette indépendance,
il faut pourtant bien voir que l'union monétaire ouvre une perspective
nouvelle à l'union politique. Pour la première fois, l'Union européenne
se dote, avec la Banque centrale, d'un exécutif européen à caractère
fédéral, ce que ne sont ni la Commission de Bruxelles (qui ne dispose
pas du pouvoir final), ni le Conseil des Ministres européens (lequel
n'est composé que de ministres appartenant à des gouvernements nationaux).
Cela devrait lever le tabou qui pèse sur la question d'un fédéralisme
européen, lequel ne peut être que politique dans ses fondements
et dans ses finalités. En outre, la création de l'euro ne va pas
seulement changer les comptes; elle va aussi changer les têtes.
Pour la première fois, tous les Européens vont avoir entre leurs
mains, le symbole concret de leur appartenance à une autre Communauté
qu'à leur communauté nationale. Ainsi l'euro crée les conditions
d'une union politique originale. Les Allemands devraient être les
premiers à s'en réjouir, eux qui reprochent, non sans raison, aux
Français d'avoir freiné la réalisation d'une Europe politique.
Symétriquement, la France redécouvre ses propres contradictions
à l'occasion de la mise en œuvre de la monnaie unique. Elle ne veut
pas que celle-ci impose, seule, sa ligne politique à l'Union européenne.
Elle craint que la nouvelle Banque centrale ne se mêle non seulement
de monnaie (c'est sa compétence) mais aussi de budget, de fiscalité,
de protection sociale et donc, finalement, de politique. Elle réclame
une autorité politique d'un poids équivalent, c'est-à-dire à caractère
fédéral, expression jusqu'à présent "interdite" sur le territoire
français.
En résumé, les Allemands veulent une monnaie "apolitique" alors
qu'ils regrettent le retard pris dans la construction d'une union
politique. Les Français souhaitent que l'union monétaire débouche
sur l'union politique alors qu'ils ont tout fait pour retarder celle-ci.
Le moment est donc venu, pour chacun, de méditer sur la cohérence
de ses positions. Et de redéfinir celles-ci en fonction d'une vision
neuve de la construction européenne pour le XXIe siècle.
Bibliographie
- "La révolution de 1999 - de l'Europe à l'euro, de l'euro à
l'Europe" - Ed. Sand, sept. 1998.
- "Le travail dans vingt ans" - Ed. Odile Jacob, 1995.
- "Rendez-vous avec l'histoire" - Ed. Calmann-Levy, 1995.
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